Le Maroc - par Guy Dugas







Presque simultanément, il crée la revue Aguedal, véritable foyer de la vie culturelle maghrébine irradiant jusqu' à Alger, Tunis et même Marseille.

Une dizaine de numéros paraîtront entre mai 1936 et décembre 1944, associant la fine fleur de l'intelligentsia marocaine et maghrébine sur des sujets intéressant la littérature universelle.

C'est ainsi que cette revue - à laquelle jusqu'à la guerre Bosco donnera le plus clair de son temps ainsi que divers textes et chroniques sous son propre nom ou divers pseudonymes - révélera, entre autres collaborateurs d'origine maghrébine, les jeunes Jean Amrouche et Mouloud Mammeri.

Pourtant si la moitié des œuvres d'Henri Bosco ont été écrites durant sa période marocaine, le Maroc lui n'y tient qu'une place relative sans doute parce que l'œuvre de Bosco dans son ensemble, n'a qu'une dimension sociale réduite et privilégie plutôt le symbolique et le sacré. Hormis quelques poèmes et textes dispersés dans des revues, trois ouvrages seulement concernent le Maghreb: deux recueils de récits et un roman: "l'Antiquaire", les pages marocaines originalement éditées en 1948 par la galerie Derche de Casablanca, avec les aquarelles de Louis Riou , et partiellement rééditées chez Gallimard deux ans plus tard, sous le titre "Des sables à la mer" constituent un itinéraire personnel, poétique et spirituel des rivages atlantiques du Maroc aux sommets les plus élevés de l'Atlas, en passant par les villes impériales.

Ces sites touristiques apparaissent totalement revisités par rapport aux stéréotypes qu'ont laissés les écrivains voyageurs: la nécropole du Chella empreinte d'un sacré millénaire, le silence paisible des "hauts lieux intacts de l'Atlas" les insondables mystères des "centres invisibles" de Fès...

Composé à l'initiative du peintre Marquet pour accompagner certains de ses tableaux sur Alger, "Sites et mirages" fut également édité à Casablanca en 1951, avant d'être repris par Gallimard sans les illustrations de Marquet. Ces récits nourris de souvenirs de lectures et évoquant aussi bien l'exil des travailleurs émigrés que les traditions arabes ou la philosophie musulmane, concernent beaucoup plus l'Algérie que le Maroc.

C'est en définitif "l'Antiquaire", publié chez Gallimard en 1954, qui porte le plus la marque du Maroc, où l'intrigue du roman est partiellement située; le héros, géologue de profession, part pour ce pays à la recherche de minerais rares.

Deux des six chapitres se déroulent donc dans l'Atlas marocaine. Bien que le sujet du roman ne soit pas là, certains problèmes culturels et sociaux du protectorat y sont posés qui, selon Mohammed Bakkali Yédri, révèlent en Bosco "un témoin sûr, honnête, et sincère, d'un pays et d'une culture".

Par ailleurs, c'est dans ces pages que s'exprime le plus nettement l'influence de François Bonjean et, à travers lui, des enseignements de René Guénon et de la mystique musulmane. Mais quelques mois à peine après la publication de "l'Antiquaire", rendus inquiets par la montée du Nationalisme marocain et déçus par la politique menée par le gouvernement Mendes France, les Bosco regagnent définitivement la France, abandonnant à leur sort ce pays auquel ils avaient tant cru et donné et ses habitants, cette "bonne race qu'on gâte, qu'on veut avilir, rendre haineuse. Crime abominable !".

Si le Maroc de Bosco est rarement explicite dans son œuvre, on peut néanmoins affirmer que l'influence du très long séjour qu'il y fit, fut capitale dans son existence comme dans son œuvre, qui en tire sa profondeur et son symbolisme, le sens du sacré qu'on s'accorde à lui reconnaître:

"Terre de prière et de louanges imprégnée de spiritualité, le Maroc permet à Bosco de vivre plusieurs sortes d'expériences où se révèle le Sacré... Elle le conduisit du monde visible au cœur de l'invisible. Restant profondément chrétien, Bosco, sous l'influence de la mystique musulmane, approfondit sa foi dans le Dieu Unique. Il ne se livre pas à un syncrétisme, toujours artificiel, il cherche le meilleur de chaque tradition religieuse et prend conscience du sacré qui ne s'atteint que dans le silence, car il révèle l'Absolu".

Yves-Alain Favre.