Extraits de correspondances







29.XII.45. Rabat, 14 avenue de Marrakech

Mon Cher ami,

C'est la deuxième lettre qui me parvient d'un ancien de Bourg.
Rien ne saurait toucher d'avantage le coeur d'un vieux maître que ces messages d'amitié venant à travers quinze ans d'absence...
Je ne suis plus professeur, j'ai pris ma retraite, et quelquefois je me demande s'il m'est arrivé, au cours d'une longue carrière, de toucher quelques âmes, de les marquer un peu... C'est pourquoi ces témoignages qui m'arrivent de mes anciens élèves me sont très doux.
J'ai fait ce que j'ai pu. Et je partais de ce principe qu'il ne faut pas ennuyer les enfants ?
Or il est difficile de ne pas les ennuyer, sous la contrainte de la classe où l'immobilité, les murs tristes, les horaires stricts, les matières souvent moroses pèsent sur ces jeunes vies avides de mouvement, d'air, de distraction.
Mais il y a une chose qui enchante, il me semble et fait oublier ces contraintes : et c'est la poésie. Il faut être un poète quand on enseigne. C'est à dire un inventeur.

J'ai essayé de l'être ; une belle histoire peut contenir beaucoup d'enseignement.
Il suffit de la trouver, belle, bonne, significative, émouvante. Et voilà !...
Ces histoires que j'ai crées, il y a 15 ans, pour vous et vos camarades (et je ne puis vous revoir qu'avec des tètes d'enfants) elles m'ont permis d'écrire deux livres : l'Ane culotte, qui connaît en ce moment la gloire à coté du Mas Théotime) : et L'enfant et la rivière que vous trouverez en librairie, au début de 1946.
Dans 3 ou 4 ans, votre petite fille pourra lire ce dernier conte.
Je lui souhaite et vous souhaite à vous et à votre femme, tous les bonheurs.
Et croyez à la vie. Je suis déjà âgé et j'y crois encore, malgré tant d'horreurs.

Affectueusement, votre vieux maître :

Henri Bosco






J'ai eu la chance d'avoir Henri Bosco Comme professeur de français lorsque j'étais en 6ème au lycée Lalandes à Bourg-en Bresse durant l'année scolaire 1930-1931

Notre travail était simple. Peu d'analyses grammaticales, presque pas de leçon de grammaire ou d'explications de texte, mais par contre beaucoup d'écriture ! ...
En effet, tout au long de l'année scolaire, Henri Bosco nous as dicté de sa voix colorée des histoires qu'il improvisait devant nous, assis à son bureau, dodelinant légèrement de la tète, les yeux mi-clos derrière ses lunettes rondes.
Durant une heure nous écrivions sur cahier une ou deux pages "d'histoires d'animaux".
Les bêtes parlaient en prose ou en vers... dans un contexte d'intrigues se développant autour de la rivalité du chat "Attila" et du renard. Le dernier mot était "suite".
Je conserve, ainsi que tout mes camarades, un souvenir merveilleux des heures passées en compagnie d'Henri Bosco. Pour nous petits Bressans, la plupart internes dans le vieux lycée aux hautes murailles, engourdis dans la grisaille de l'hiver, il a fait briller le soleil sur les mas et bastidons, et il nous a fait respirer les herbes de Provence comme la "mélisse, l'angélique qui, le matin toutes gonflées de suc et de rosée, exhalaient une odeur enivrante".

Nous avons découvert grâce à lui un univers merveilleux, rempli de poésie et de mystère.
Qu'il en soit remercié ! J'ai conservé le cahier des dictées. Je l'ai lu à mes enfants, plus tard à mes petits enfants. Ils ont été ravis.






"J'avais devant moi une quarantaine d'enfants. Toute une classe. (... ) Elle avait l'air d'attendre (... ) D'un brusque mouvement, j'écartais de ma table tous les livres, et, les deux mains posées sur le bois nu, à très haute voix, je dis : - Mes enfants, préparez-vous. On va écrire. (... ) Et d'un ton solennel, je dis : - Ecrivez le titre d'abord. Ecoutez bien. Je dicte. (... ) Je fermais les yeux et dictais : - L'âne culotte." On peut lire ces lignes, écrites le 1er mai 1956, dans l'avant-propos à l'édition de L'âne culotte parue au Club des jeunes Amis du Livre (1956).