L’Esthétique de la Nuit

 

Sandra L. Beckett
Université Brock
Car j’ai toujours aimé la nuit.
Henri Bosco

 

            En exergue à cette communication, nous avons mis la citation, tirée d’Un oubli moins profond, qu’Annette Landry a gravée sur sa médaille de Henri Bosco il y a exactement quarante ans : « Car j’ai toujours aimé la nuit » (Ou, 276). Très tôt Bosco semble avoir pris, comme le jeune Guy dans Sabinus, « cette connaissance et cette habitude troublantes de la nuit qui jamais ne s’efface » (Sa, 253). Dans ses souvenirs, l’écrivain reconnaît qu’il doit à sa mère « une connaissance des secrets de la nuit » à laquelle très peu d’hommes ont accès et dont il a souvent transmis l’expérience « dans [ses] récits » (Ou, 310)1. La créature mystérieuse qui arrive sur le Récif « du fond de la nuit » (R,163) reproche à Didier-Markos de Moneval-Yssel de ne pas avoir « étudié la nuit ». « La nuit est un monde inconnu, mais la nuit peut s’apprendre », affirme cette voix séduisante issue de l’ombre pour initier le protagoniste du Récif (R,165). Pour sa part, Bosco n’a jamais cessé d’approfondir sa connaissance de la nuit. Les « sortilèges » de la nuit qui, selon Dellaurgues, « irrésistiblement [...] vous attirent » (O, 56), ne sont nulle part plus captivants que dans le dernier récit, laissé inachevé lorsque Bosco franchit « le seuil d’une nuit sans retour » qui s’ouvre devant son dernier narrateur (O, 198).

            L’activité de l’écriture est intimement liée à la Nuit pour cet écrivain qui marque dans sa poésie un « Itinéraire pour la nuit » et qui écrit passionnément dans son dernier récit : « Or notre vocation n’est-elle pas de franchir la nuit? » (O, 52)2. Il n’est pas surprenant qu’un écrivain qui ait adopté une telle vocation perfectionne une esthétique de la nuit. Le lecteur bosquien est immédiatement frappé par le fait, hautement significatif, que le romancier écrit souvent le mot Nuit avec un N majuscule. La préparation de cette communication n’a fait que confirmer à quel point Henri Bosco a toujours été, pour nous, le poète de la Nuit par excellence. Notre premier livre sur Bosco3 est consacré à ce que j’ai appelé la tétralogie de la Nuit (Un rameau de la nuit, L’Antiquaire, Le Récif et Une Ombre), quatre récits oùl’auteur et ses narrateurs entreprennent des voyages au bout de la Nuit, mais celle-ci occupe une place prépondérante dans toute l’œuvre. Au sujet de Mon compagnon de songes, Bosco écrit dans le « Diaire » : « Ce récit est moins un roman qu’un “Nocturne”. Nox atra incubat. Mais beaucoup de mes romans sont des “Nocturnes” même quand ils offrent des parties claires. Mon Signe le veut »4. La nuit n’est pas seulement un thème essentiel du récit de Bosco, mais le matériel même du récit. Dans une lettre que l’écrivain a adressée à Liliane et Jules-Henri Lengrand en 1975, il décrit son art dans les termes suivants : « Je ne suis qu’un homme pesant, qui doit se contenter de travailler l’Ombre — et les ombres — de piocher dans le noir et de charbonner sa pensée »5. L’encre noire qui couvre les pages des manuscrits de Bosco convient bien à une oeuvre qui est souvent une tentative de mise en récit de la Nuit.

« Une immense nuit »

            Si l’essentiel « des récits “noirs” se déroule en un nocturne »6, la nuit est en fait le temps privilégié de toute l’œuvre  romanesque de Bosco. Le premier narrateur d’Une ombre décrit son aventure dans les termes suivants : « tout se passait dans la nuit, la nuit souveraine qui m’enveloppait » (O, 56) et son petit-neveu qui prend la relève soixante-quinze ans plus tard ne voit pas autrement sa propre aventure : « Pourquoi toujours cette nuit [...]? » (O, 159). Les nuits de l’oeuvre bosquienne sont d’une longueur insolite; parfois le récit semble se dérouler dans l’espace d’une seule nuit interminable. Évoquant rétrospectivement le drame qu’il a vécu « dans la nuit » du souterrain de l’église de Cotignac, Dellaurgues avoue qu’il lui semble « que cela dura toute une nuit, une seule nuit mais immense... » (O, 71). Lorsque le protagoniste bosquien tente de se remémorer sa redoutable aventure nocturne, il lui arrive parfois de ne pouvoir évoquer qu’une profonde nuit. Markos avoue que le drame qu’il a vécu sur le Récif est couvert d’« une immense nuit [...] Une nuit immémoriale » (R, 192). Sous la plume de Bosco, le temps nocturne devient élastique et capable de s’étendre à l’infini. Cette longue nuit a une fonction initiatique que nous avons examinée ailleurs7, ici nous voudrions insister plutôt sur son importance en tant que temps privilégié de l’histoire et du récit. Le temps nocturne tel que le représente Bosco nous rappelle ces paroles de Novalis : « Le temps de la lumière est mesuré, mais le règne de la Nuit ne connaît ni le temps, ni l’espace »8. Le narrateur du Jardin d’Hyacinthe tente de s’expliquer l’étrange phénomène qui permet à l’âme de découvrir une nouvelle « durée » : « Insensiblement, de la vie nocturne, le temps par une fissure invisible, avait glissé ailleurs ; et cependant les faibles événements de la nuit prenaient une étendue étrange ; ils ne s’écoulaient plus ; ils s’approfondissaient [...] » (JH, 195). Cette manière de traiter le temps nocturne explique, du moins en partie, pourquoi le récit bosquien n’est pas linéaire, mais se développe en profondeur. Certains personnages semblent mLme pouvoir dicter la longueur de la nuit. Le visiteur nocturne conseille à ceux qui soignent Monneval-Yssel dans la cabane forestière qu’« il aura besoin d’une longue nuit » (O, 148).

            Dans le récit bosquien, on peut passer du jour à la nuit à n’importe quelle heure de la journée. Le premier narrateur d’Une Ombre raconte comment « en glissant d’un pas ou deux [il] passe du jour à la nuit » (O, 23). Le romancier ne fait pas autrement quand il rédige ses récits. Souvent le jour se réduit à une seule phrase succincte que le narrateur intercale entre deux nocturnes. La phrase « La journée se passa sans incident » vient sous la plume de plusieurs narrateurs bosquiens qui, impatients de continuer leur récit des événements de la nuit, passent presque sous silence leur vie diurne9. C’est dans la nuit mystérieuse que se déroule l’essentiel de l’aventure de la plupart des protagonistes bosquiens ; ceux-ci se font « une vie diurne plus courte, à mesure que [leur] vie nocturne prend une plus grande étendue » car « la nuit [les] attire » (A, 281). Il arrive que la vie diurne se réduit à la seule attente du retour de la nuit. Il en est ainsi pour Frédéric attendant la nuit pour retrouver Clotilde à Loselée ou pour Markos attendant la nuit dans l’espoir de retrouver la créature nocturne sur le Récif.

« Les événements de la nuit »

            La nuit réserve aux protagonistes bosquiens ce que Pascalet appelle les « événements improbables » (CS, 159) et Monneval-Yssel les « événement[s] impossible[s] » (O, 209) qui forment toujours l’essentiel de leur histoire. La seule « aventure » qui semble intéresser le protagoniste, sans distinction d’âge, est celle que lui propose « la nuit pleine de secrets » (An, 26). Attiré par le mystère et dévoré par un désir de savoir, le protagoniste se laisse entraîner dans des obscurs « événements de la nuit » (JH, 195) qu’il tentera d’éclairer ultérieurement en rédigeant son récit.

            Du premier ouvrage de sa nouvelle manière jusqu’à son dernier ouvrage posthume, les récits de Bosco constituent, à quelques rares exceptions près, une toile assez sombre tissée d’inoubliables scènes nocturnes. Le Sanglier tourne autour d’une série de rencontres nocturnes avec le colosse, le sanglier, la femme noire et les Caraques. Les moments forts de L’Habitant de Sivergues sont le récit de la confession faite la nuit à l’abbé Méritan par le descendant du responsable du sac de Silvacane et la visite nocturne du jeune Martial à Sivergues, où il perd connaissance à la vue du vieux corps de Béranger étendu au pied de la croix sans dieu. L’aspect le plus saisissant du récit du narrateur de L’Âne Culotte est l’effrayant rituel nocturne que Constantin appelle « l’un [des] mystères » de la nuit ; ce  mystère trouve son écho dans le journal de Cyprien, où l’abbé Chichambre commente « le récit de cette nuit mémorable » où le magicien a ensorcelé le serpent autour du feu de campement des Caraques (ÂC, 219). Hyacinthe naît du « culte de la Nuit » qu’on célèbre à La Geneste et qu’on épie à La Commanderie, culte qui provoque les furtives visites nocturnes qu’Hyacinthe rend au protagoniste-narrateur anonyme (H, 171). Les nombreuses liturgies de la Nuit auxquelles le protagoniste assiste clandestinement comptent parmi les plus mémorables des étranges événements de la nuit racontés par le narrateur bosquien10. Souvent les Caraques sont les agents d’étranges spectacles nocturnes, comme par exemple le cirque qui apparaît mystérieusement la veille de Noël sur le plateau de Saint-Gabriel dans Hyacinthe ou la douloureuse mélopée qu’ils psalmodient à « la Sirène » dans Tante Martine. Sylvius est structuré autour des deux spectacles nocturnes de marionnettes qui, à six mois de distance, ensorcèlent deux villages entiers.

            La tétralogie de la Nuit s’ouvre sur Un rameau de la nuit, dont le titre annonce l’importance de la Nuit dans ce récit qui se compose d’inoubliables nocturnes, tels que l’épisode cauchemardesque de l’Altaïr où Frédéric a la vision de la descente de Marie-Josépha aux abîmes de la mer lorsqu’il suit Alleluia vers la « Nuit [...] des Ombres éternelles » (RN, 89). Si une première ébauche de L’Antiquaire s’intitulait « Le Jour et la Nuit »11, les événements marquants de ce roman troublant se passent tous la nuit, par exemple les apparitions de la Femme de la Nuit, le suicide de Surac dans le désert et les épreuves de Baroudiel dans le « noir royaume » de la maison des antiquaires. Le Récif, qui commence et se termine la nuit, n’est qu’une suite de saisissants nocturnes, dont le dramatique cérémonial de l’Exorcisme dans une salle souterraine de la maison des Kariatidès12, le voyage vers le Récif dans la barque noire, l’apparition de l’être issu de la mer et la descente à la ville sous-marine. Le même spectacle nocturne hante les récits des deux narrateurs d’Une Ombre, à savoir celui de la mystérieuse liturgie célébrée par les cinq Ombres « qui chantent la Nuit, sa grandeur, ses ténèbres...» devant une Ombre (O, 172). Les mystérieuses apparitions de cette Ombre et son avatar rythment les deux volets des récits de Dellaurgues et de son petit-neveu.

« Les images de la vie nocturne »

            S’il existe des images diurnes, images rassurantes « des jours éclatants de l’été », ce sont « les images de la vie nocturne » qui prédominent dans l’oeuvre romanesque de Bosco (O, 53). Le narrateur qui se remémore son aventure la tisse à partir de « grandes images nocturnes ». Nous empruntons l’expression au premier narrateur du Récif, qui, essayant un soir de reconstituer son aventure à partir du souvenir de la barque à la voile noire qui avance vers le Récif, écrit avec angoisse : « Je tombe de la grande image nocturne [...] » (R, 127). Lorsque Jérôme tente, à son tour, de reconstituer l’aventure de son parent, il ne trouve dans les documents que « de grandes images » sombres qui l’épouvantent (R, 259).

            Le titre d’Un rameau de la nuit présente l’image du « noir feuillage » de Loselée qui donnera son titre au chapitre « Ce noir feuillage... », dans lequel Frédéric commence « une redoutable initiation » dont « la nuit [...] est le sanctuaire » (RN, 280). L’image revient dans L’Antiquaire, où Mathias croit discerner sur le front de Baroudiel le « noir feuillage » des « rameaux » de « l’arbre de la nuit », où l’« on s’endort à jamais » (A, 306). Comme beaucoup d’images nocturnes qui hantent l’oeuvre de Bosco, celle de « la monstrueuse vie végétale » (RN, 363) a son origine dans son enfance. Les pages du Jardin des Trinitaires montrent à quel point le jeune Bosco était sensible à « l’influence nocturne de la vie végétale » (241). L’espace du dernier récit de l’écrivain est envahi par « les plantes noires de la nuit » (O, 56). La rose épinglée au manteau noir dans la chapelle du domaine de l’Ombre est « une rose sombre », l’« Ombre » de la rose, « la rose même de la nuit » (O, 212). Sous la plume de Bosco, même les parfums peuvent devenir « noirs » sous l’influence de la nuit (voir T, 60), et « une odeur de nuit », comme celle qui donne au narrateur du Trestoulas la sensation d’une présence réelle, est toujours à redouter (T, 14)

            Dans les pages des souvenirs que Bosco intitule « Ces premières images... », il évoque l’image nocturne des chouettes « qui élèvent la voix ça et là dans [ses] livres ». L’écrivain explique comment une telle image reparaît dans ses récits : « Dès que la nuit tombe, ce souvenir monte, et le personnage nocturne qui erre ou qui rêve dans l’ombre, entend ces deux chouettes s’appeler et se plaindre là-bas au fond de mon récit » (Ou, 49). Sans doute est-ce une chouette, qui symbolise pour Bosco « la plainte même de la nuit » (Ou, 53), que Monneval-Yssel entend dans le dernier récit après la disparition du septième seuil, celui qui « donne sur la Nuit » : « Un oiseau nocturne a parlé quelque part dans le bois, à sa vieille mère, la Nuit, et il avait l’air de se plaindre... » (O, 149).

« Des vastes pays de la nuit »

            Bosco a une prédilection pour les paysages nocturnes. Son oeuvre abonde en sites qui, tout comme le domaine inhabité de Silvacane dans Hyacinthe, pourraient être qualifiés d’« étrange[s] pays nocturne[s] » (H, 237). Bosco donne à toutes les maisons de ses récits une « vie nocturne » qui rappelle celle du Mas du Gage à laquelle sa mère attachait tant d’importance (Ou 310)13. Selon Pascal Dérivat, « la nuit, tout [s’]anime » à Théotime « d’une vie inexplicable » (MT, 152). Certaines maisons, telles que La Geneste, ne vivent que « la nuit » (H, 10). Comme les hommes, les maisons ont une âme double dont un versant s’accorde avec la nuit. A la tombée de la nuit, Pascal croit ne discerner plus qu’un « double » de La Jassine, « la figure ténébreuse de son âme » (MT, 113). Certaines maisons redoutables se sont données entièrement à l’ombre et constituent de véritables sanctuaires de la nuit. A propos de la maison des antiquaires, où règne « le culte de l’ombre » (A, 338), Baroudiel écrit : « La nuit est l’âme de cette maison... » (A, 281). La Maison des Dossila de Folque, celle de l’Ombre, est une Maison de la Nuit, née « sous le Signe de l’ombre, l’Année même de la Fin du Monde jadis, un jour où le vieux Soleil, [...], s’était voilé la face de ténèbres » (O, 213). A La Geneste, nous l’avons déjà vu, on « célèbre le culte de la Nuit » (H, 171). Nombreuses sont les maisons dans l’œuvre bosquienne qui cachent d’étranges rites nocturnes. Mais il existe aussi des « églises de nuit » (RN, 227); la plus belle église du monde, celle de Géneval, n’est-elle pas « une église de la nuit » (RN, 163)? C’est là où l’homme offre et oppose « à la sombre divinité une lumière » (R, 153).

            Dans les lieux obscurs des récits bosquiens, la nuit est généralement, comme à Loselée, que Frédéric qualifie de « créature nocturne et passionnée » (RN, 289), « vraiment chez elle » (RN, 286). Il s’agit d’une nuit singulière que le narrateur bosquien décrit comme « une sorte de nuit minérale » (HS, 186) ou « une sorte de nuit matérielle » (HS, 232). La description de la nuit étouffante propre au domaine de Loselée est particulièrement saisissante : « Là elle avait la nuit; elle possédait la nuit même, ce qu’on nomme la nuit, ce qui l’est : un être. Sa réalité nocturne était telle qu’il devenait inconcevable qu’il y eût ailleurs de la nuit » (RN, 287). Dans le mystérieux Domaine d’Une Ombre, le dernier narrateur de Bosco constate de même la présence de « la nuit », d’une nuit massive et lourde qu’il décrit dans les termes suivants : « Un bloc de nuit détaché des ténèbres, la nuit de la pesanteur et de l’immobilité, la nuit close, la nuit gorgée de sa propre substance » (O, 197). De tels paysages nocturnes s’ouvrent sur un autre pays nocturne dont le protagoniste pressent le danger mortel sans pouvoir résister à son attrait : « Là commencent les immenses forêts de la Nuit éternelle » (O, 210).

« Ceux de la nuit »

            Si Bosco met en scène quelques personnages qui appartiennent entièrement à la lumière, tels que Béranger, Elzéar ou les quatre promeneurs, « amis du matin » et aux « pas raisonnables », qui font oublier à Dellaurgues pendant quelques heures les « mystérieux personnages » qu’il rencontre à Cotignac dès la tombée du jour (O, 54), ses récits sont surtout peuplés de figures nocturnes. On discerne la voix du romancier sous celle du narrateur quand Dellaurgues parle de la fascination qu’exerce sur lui les « créatures fictives » de la nuit (O, 55). Dès son enfance, Bosco était fasciné par les êtres nocturnes, comme en témoignent les pages qu’il consacre à « Ceux de la nuit » dans la partie  de ses souvenirs intitulée « Nocturnes ». Comme le romancier, les protagonistes se plaisent à attendre ce que Pascalet appelle « le personnage d’un événement de la nuit », celui qui surgit de « la nuit toute et toujours surnaturelle... » (CS, 159)14. Rares sont les personnages qui ne subissent pas l’influence puissante de la nuit. Selon le narrateur du Mas Théotime, « la nuit transforme les êtres jusqu’à les rendre un peu surnaturels » (MT, 138)15. Un inventaire des personnages nocturnes de Bosco comprend les êtres les plus secrets et les plus singuliers de l’oeuvre16 : Bargabot, « homme nocturne » (, 118); Méjemirande, « esprit éminemment nocturne » (Sa, 99); Me Ratou, marqué par son « goût [...] pour la vie nocturne »; Piqueborne, « grand amateur de nuit » (C-B, 92). L’âme de Mathias a beau être « encore liée à la vie diurne », ce conducteur est chargé de diriger Baroudiel « vers la nuit » (A, 295). Il nous fait penser à Rat, à Mus ou à Séraphin, qui met Monneval-Yssel en garde contre l’étrange Nuit du Domaine dans Une Ombre. Même « à l’heure du soleil », le vieux visage de Sirius porte aussi « le signe » de « la nuit » (O, 165). La chère Tante Martine elle-même porte « de la nuit en elle » (, 96).

            De nombreux personnages nocturnes que Bosco met en scène sont d’une nature beaucoup plus inquiétante que ceux mentionnés jusqu’ici. Dans la cave de la boutique de Cassius et Barnabé, Antonin est le témoin involontaire d’un « acte d’adoration terrifiante, à [une] muette rencontre entre une créature de la nuit et la nuit elle-même » (An 76). Certains « êtres imaginaires » qui naissent des visions hallucinatoires des protagonistes semblent pouvoir prendre corps et passer mystérieusement à l’existence grâce à de puissants sortilèges de la nuit. Il en est ainsi de la mystérieuse créature issue de la mer qui « semblait se nourrir de la nuit » devant Markos (R,163).

            Même les enfants des récits de Bosco sont des êtres de la nuit. Selon Monneval-Yssel, Jodicaël est surtout « un enfant de la nuit » (O 166) et Markos écrit que pendant tout son séjour dans la maison des Kariatidès, Dïakos « n’appar[ut] jamais que pendant la nuit » (R 71). Gatzo, qui représente l’enfant que Bosco aurait aimé être, appartient au monde de la nuit (, 95); ses yeux sombres « sortaient de la nuit, royaume de toute puissance et ils en rapportaient la marque menaçante et ineffaçable » (P, 165). Tout en se formant devant Pascalet comme « une sorte de clarté humaine », l’énigmatique Hyacinthe semble « retenue par les forces de l’ombre, comme si elle eût hésité à se séparer de la nuit » (, 111). Pascalet a affaire à plusieurs autres filles de la nuit, y compris « l’étrange fille nocturne », Mâche, qui « aime vivre la nuit » (TM, 264) et Clélie, qui semble « éclore, se créer de la nuit, au sein de la nuit » (CS, 160). La petite Eudoxie, encore enfant, est déjà « pleine de nuit » (R, 97), tandis que le corps de Leucothoè est « plus sombre encore que la nuit » (R, 108). Aussi troublante que soit  « la Geneviève nocturne » (MT, 138), son âme n’en garde pas moins un versant lumineux (MT, 143). Ce n’est pas le cas de « cette Ameline nocturne, issue inopinément de la nuit » pour troubler les Balesta (B, 237). Le plus redoutable des personnages féminins que la nuit offre au protagoniste bosquien est la Femme de la Nuit, qui hante les pages de Bosco dès Le Sanglier. Dans le dernier récit, elle se dédouble sous la forme de l’Ombre et son avatar. Lorsque le narrateur de L’Antiquaire appelle la femme en noir « un être nocturne » dès leur première rencontre  (A, 21), il a bien compris que c’est « la Nuit » elle-même qui est celée sous le masque de cet être créé de ses propres ténèbres : « Pour séduire et dompter les hommes, la Nuit y avait pris figure humaine », écrit Baroudiel (A, 325-326). Ces créatures nocturnes assombrissent les pages des récits de Bosco à la manière de la Femme de la Nuit devant l’antiphonaire dans L’Antiquaire : « Et ainsi la blancheur du livre n’était, au fond de ces yeux insensibles à la lumière, qu’une étendue nocturne » (A, 326).

« Mon personnage nocturne »

            Plus inquiétant encore que les personnages nocturnes rencontrés au cours de son aventure est celui que le protagoniste découvre en lui-mLme17. A la nuit correspond chez le protagoniste un être nocturne qui prend le dessus dès que tombe le soleil et qui ne tarde pas à prendre l’ascendant sur lui. Relatant le récit de sa sombre aventure trente-cinq ans plus tard, Dellaurgues avoue qu’il attendait sans appréhension les êtres, les images et les voix de sa vie nocturne « comme si ces créations étranges eussent été les décors et les actes naturels à [son] personnage nocturne » (O 58). Même le jeune Pascalet est sensible à ce qu’il appelera plus tard  « la nuit de notre âme » (CS, 57) ou la nuit de son « être » (CS, 69). Dans Mon compagnon de songes, il écrit : « j’avais regardé ma propre nuit en train de descendre sur moi » (CS, 139). Lors de ses errances dans la nuit de Loselée, Frédéric confie les paroles suivantes à son journal : « Et moi que suis-je, qui ne connais pas ce qui va surgir de ma nuit ? » (RN, 237). Se relisant, trente ans plus tard, Markos s’avoue incapable de décrire la vie inimaginable qui s’éveille lorsqu’on se laisse entraîner  « aux régions habitées par nos âmes nocturnes » (R, 138). Monneval-Yssel a recours à la métaphore « des royaumes nocturnes » pour décrire les profondeurs de l’âme où il découvre avec horreur un hôte inconnu. Épouvanté, il écrit : « Plus que l’âme solaire j’étais la nuit même de l’âme, la terrible nuit de moi-même » (O, 174).

« Le langage de la Nuit »

            Nous avons tenté de montrer ailleurs à quel point le récit bosquien est une transcription des voix qui parlent à l’écrivain et à ses narrateurs des profondeurs nocturnes18. Dans le « Liminaire » aux Quatorze visions de Liliane Marco, inspirées du Récif, Bosco parle de la voix inconnue qui lui avait dévoilé « les événements futurs de cette aventure ». Devant les visions nocturnes de l’artiste, le romancier a entendu « de nouveau la voix de [ses] propres abîmes »19. Le narrateur du Récif sait quel danger mortel nous encourons quand nous écoutons  « nos âmes nocturnes », ces doubles qui veulent « atteindre à notre langage, pour parler comme nous et nous dire ce qu’elles sont, pour devenir enfin hors de la nuit des vivantes diurnes » (R, 138-139). Éduqué à chercher « toujours à y voir clair, à faire le plus de lumière possible sur des espaces nus » et donc à donner sa confiance à « ces rassurantes images », Bosco subit la même tentation que son narrateur, qui confesse : « une absurde puissance me pousse à ajouter foi à l’inexplicable langage qui tout à coup me parle, et qui est langage nocturne, celui-là même de ma propre nuit, une nuit primitive, la nuit des prémonitions souterraines » (R, 91-92). Lorsque le protagoniste se met à écouter la voix de « sa propre nuit », il finit par entendre la voix de « la Nuit ». « La nuit avait quelque chose à me dire » (O, 139), écrit le dernier narrateur de Bosco qui, pour bien entendre cette voix, se fond dangereusement à la Nuit. Dans son récit, Monneval-Yssel avoue qu’il est devenu « une part de la Nuit » dans le Domaine de l’Ombre (O, 198). C’est le narrateur d’Un rameau de la nuit, cependant, qui évoque le mieux cette redoutable fusion avec la Nuit. A Loselée il ne marchait pas « à travers la nuit » mais s’« incorporait à son ombre » : « Je vivais de la nuit; la nuit vivait de moi », écrit-il plus tard. Non seulement, « la chair devenait la chair même de la nuit », mais l’esprit devenait, lui aussi, « l’esprit même de l’ombre ». Lorsque le protagoniste se laisse envahir par la Nuit, il abdique sa propre pensée. Frédéric s’en explique : « [...] toute la nuit occupait ma tête. Elle se pensait en moi elle-même » (RN, 363). Dans son récit, Dellaurgues décrit la même perte de la pensée dans « la nuit souveraine » qui l’enveloppe à Cotignac : « L’esprit s’atténue, s’assoupit, s’endort, finalement il sombre. Il n’est plus qu’une vibration égarée dans le frémissement éperdu de la nuit » (O, 56). Alors la Nuit se met à parler dans ce langage indéfinissable que Bosco et ses narrateurs tentent de transcrire. Ce langage est resté longtemps insaisissable B Bosco, qui écrit dans son « Diaire » qu’il a fini « par en dégager un langage, à distinguer puis à reconnaître [...] quelques ébauches de paroles »20. Dans les Quatorze visions de Liliane Marco, inspirées du Récif, Bosco évoque « la voix inconnue » qui lui « proposait une aventure » qu’il « écoutai[t] avec terreur ». A mesure qu’elle lui dévoilait « les événements futurs de cette aventure », l’écrivain transcrit son langage étrange « en paroles humaines »21. Le premier narrateur du Récif finit par « comprendre, lui aussi, le sens du langage inconnu » qui ne serait que « sons incompréhensibles » aux autres (R, 187). Dans Tante Martine, qui date de la même époque que Le Récif, Pascalet découvre soudain « une voix inconnue » qui, malgré son impuissant silence, finit par « atteindre jusqu’à nos désirs, nos peines, nos joies, jusqu’à notre pensée, pour en obtenir la réponse humaine à un langage indéfinissable et tragique, car c’est le vieux langage de la Nuit » (TM, 294-295). Ce beau récit, le dernier publié du vivant de l’écrivain, se termine sur le mot « nuit » (TM, 334). Si « la voix du poète est une voix du monde », comme le prétend Gaston Bachelard22, la voix de Henri Bosco est avant tout une voix de la Nuit.

Écrire la nuit sous la lampe

            Raconter, lire ou rédiger un récit est essentiellement une activité nocturne dans l’oeuvre de Bosco. L’écrivain lui-même a avoué qu’il aimait travailler dans un bureau nocturne23. De nombreuses photos de Bosco le montrent en train d’écrire ou de lire sous la lampe dans son bureau à la Maison Rose ou au Bastidon. L’image de l’homme en train de raconter, de lire ou d’écrire la nuit sous la lampe hante toute son oeuvre.

            C’est souvent après l’écoute ou la lecture d’un récit la nuit que le protagoniste bosquien entame la mystérieuse aventure dont il finira par devenir le narrateur. Le lecteur du Trestoulas apprend dans le dernier chapitre que le récit qu’il vient de lire a été raconté, au cours d’une seule nuit, par André Cheynes à trois ou quatre amis, dont l’ami anonyme qui prend en charge la narration du récit enchâssant. C’est au cours de la nuit de l’avant-veille des Rois que Barnabé raconte le récit de Sylvius à Méjean, qui l’enchâssera dans son récit. Que de lectures nocturnes déclenchent ou déterminent le récit du narrateur bosquien! Citons, par exemple, la lecture du manuscrit de Barral par M. René dans Le Sanglier et la lecture clandestine, à la lumière de deux bougies, du vieux cahier de l’abbé Méritan par Martial dans L’Habitant de Sivergues. Le Récif naît d’une double lecture nocturne : sous une lampe qui éclaire à peine la table, Markos lit à haute voix La Bête du VaccarèsPs à Manoulakis, puis les rôles sont inversés et, jusqu’à l’aube, Markos écoute le récit oral que Manoulakis lui transmet au sujet des dieux anciens qui survivent en Grèce. Les images de l’homme lisant sous la lampe se multiplient dans Le Récif, où ce que Markos appelle « l’heure de la lecture » (R, 128) a toujours lieu après la tombée de la nuit. Markos s’apprête à lire le « mémento » de son séjour sur le Récif  « à la lampe voilée qui n’éclaire que le plateau d’une table de chêne nue ». Toutefois, ce narrateur-auteur n’aperçoit plus sur la table de travail « que [ses] deux mains posées, deux mains inutiles » qui n’écrivent pas (R, 127-128). Vers la fin du Récif, Jérôme achève la rédaction de son récit et le lit et le relit sous la lampe qu’il allume sur sa table la Nuit des Rois. Un rameau de la nuit présente également des images saisissantes de l’homme en train de travailler la nuit sous la lampe24, en particulier la double image qui superpose Bernard à Frédéric, qui lit et écrit à Loselée « sous cette même lampe dont la lumière avait éclairé [les] études » de l’ancien maître (RN, 237). Cette tentative de résister aux tentations de la Nuit du domaine par la lecture est vaine car il ne lit qu’à travers la vision obsédante de feuillage. Hyacinthe s’écrit en entier à partir d’une double image encore plus curieuse de deux hommes qui travaillent, écrivent ou inventent une histoire sous deux lampes qui se font face sur un plateau enneigé qui constitue une sorte de feuille blanche. Grâce au « culte de la Nuit » de l’homme inconnu de la lampe (H, 171), le récit de Constantin Gloriot vient mystérieusement se greffer à celui du je anonyme : « [J]e pénétrais dans cette Geneste où, près de la lampe, m’attendait mon âme [...] là seulement, je me parlais. [...] morceau par morceau, je m’inventais une vie » (H, 84). Dans Hyacinthe, le récit du narrateur anonyme se crée la nuit grâce à la lampe qui sert d’intermédiaire. Le narrateur parasite de cet étrange récit finit par s’approprier la lampe, le journal et le récit même de l’Autre qui veille la nuit.

            L’écriture en particulier est une activité qui s’accorde avec la nuit. Les protagonistes et les personnages secondaires qui tiennent un journal le font le soir ou la nuit, comme en témoignent des notations de Joachim Balesta, Baroudiel, Cyprien et bien d’autres25. Dans les passages qui attirent l’attention du lecteur sur le récit que le narrateur est en train de rédiger, ce dernier est presque toujours assis à une table sous une lampe le soir. C’est ainsi que le narrateur des Balesta se décrit au moment où il entame la rédaction de sa trilogie.

            Plus d’un narrateur estime la puissance conjuratoire de la lampe qui l’éclaire la nuit pendant qu’il rédige le récit de son redoutable voyage au bout de la Nuit. Le récit bosquien est une tentative de conjurer des visions nocturnes obsédantes26. Le mot « conjuration » ou « exorcisme » vient sous la plume de l’écrivain ainsi que sous celle de plusieurs de ses narrateurs, dont Frédéric, Martial, Joachim, Dellaurgues et Monneval-Yssel. « Assis à [sa] table devant une feuille blanche », Bosco attendait que les « visions [...] montent »27. D’habitude les visions qui répondaient à son attente étaient  très sombres. A peine le narrateur d’Un rameau de la nuit a-t-il écrit la première phrase du récit de son aventure que lui vient « ce sentiment d’une présence sous un voile, présence qui double du côté de l’ombre ce [qu’il dit] au milieu de la plus pure lumière » (RN, 34). Inéluctablement, de tels récits se construisent d’événements de la nuit, se situent dans des pays nocturnes, mettent en scène des personnages nocturnes, se tissent de mots sombres et d’images obscures. Il n’est pas surprenant que le narrateur bosquien cherche à jeter un peu de lumière sur un tel récit en le rédigeant auprès d’une lampe. Au moment d’entreprendre son récit, le narrateur d’Un rameau de la nuit souhaite avec ferveur que sa lampe puisse « sur ce récit répandre sa clarté habituelle » (RN, 35). Cependant, comme la lampe sous laquelle il s’écrit, le récit bosquien « a besoin de la nuit » (Ou, 319). Un beau passage du Récif évoque l’image de l’écrivain qui attend la nuit pour prendre la plume sous sa lampe :

Je crus bon d’attendre la nuit. Je n’en ai pas peur, j’en connais les chemins secrets, et il m’arrive d’y trouver des mots qu’on n’a jamais trouvés dans les discours violents de la lumière. Le soleil les écrase.

Mais non pas la douce clarté qui émane des lampes. Car les lampes seules s’accordent aux nécessités de la nuit. Elle leur est indispensable. C’est d’elle qu’elles sont issues. Sans la nuit il n’y aurait pas de lampes sur la terre. [...] Si fatalement à la nuit insondable l’homme rend un culte d’espoir et de terreur, il officie sous la protection de ses lampes. Il offre et il oppose à la sombre divinité une lumière droite, le feu vertical de l’Amour  (R, 152-153).

 

Notes



1. Pour les ouvrages de Bosco, nous utilisons les abréviations et les sigles suivants : L’Âne Culotte (ÂC), L’Antiquaire (A), Antonin (An), Les Balesta (B), Barboche (B), L’Habitant de Sivergues (HS), Hyacinthe (H), Le Jardin d’Hyacinthe (JH), Le Mas Théotime (MT), Mon compagnon de songes (CS), Monsieur Carre-Benoît à  la campagne (C-B), Pascalet (P), Le Récif (R ), Le Renard dans l’île (), Sabinus (Sa), Le Sanglier (S), Le Trestoulas (T), Une Ombre (O), Un oubli moins profond (Ou), Un rameau de la nuit (RN), Tante Martine (TM). Nos références renvoient à l’édition de « La Bibliothèque blanche ».

2. Lors de l’émission pour le Hommage à Henri Bosco pour ses 80 ans, Bosco rappelle à Gabriel Audisio que le sens profond de cette oeuvre qui explore un domaine obscur et mystérieux l’apparente « aux Romantiques » (Toulon, L’Astrado, 1971, p. 20).

3. Voir Sandra L. Beckett, La Quête spirituelle chez Henri Bosco, Paris, Corti, 1988.

4. Bosco, « Diaire », 27 [mars 1967]. Nous tenons à exprimer ici notre profonde reconnaissance à Claude Girault, qui nous a généreusement autorisé à consulter le Diaire de Bosco et à en citer quelques passages inédits. Les mots « nox incubat atra » se trouvent dans le livre premier de l’Énéide, (ligne 89), où Virgile évoque la « nuit noire » qui s’étend sur la mer lors d’une tempête. Bosco affirme ailleurs : « – Je suis un Scorpion [...]. Je suis assez sombre, ténébreux. Les méridionaux ont d’ailleurs toujours été influencés par la nuit, mais aussi par le soleil » (Cité dans Robert Wauters, « Entretien avec Henri Bosco », Revue de l’Institut pour Journalistes, Bulletin officiel de l’Association générale des étudiants et diplômés en journalisme de Belgique, 38e année, no 3, décembre 1960, p. 30).

5. Cité dans Liliane Lengrand-Marco, « Quand les nuages ont un destin », Cahiers H. B., no 11 (avril-octobre 1976): 74.

6. Voir Beckett, La Quête spirituelle chez Henri Bosco, p. 215.

7. Voir notre chapitre « La longue nuit initiatique » dans La Quête spirituelle chez Henri Bosco, p. 239-250.

8. Cité dans Anne Goyeneche, « Le thême de la nuit d’après l’Oeuvre de Henri Bosco » , DES, Faculté des lettres d’Aix-en-Provence, 1962.

9. Voir Le Sanglier, p. 164 et Un rameau de la nuit, p. 298.

10. Voir Beckett, La Quête spirituelle chez Henri Bosco, p. 217.

11. Bosco, « Le Jour et la Nuit », La Revue de Paris, vol. 60, no 9, septembre 1953, p. 3-17 ; no 10, octobre 1953, p. 84-111.

12. Une référence intratextuelle rapproche la liturgie de la tribu KariatidPs de celle célébrée autrefois par les Balesta (R, 101).

13. Curieusement, cette vie n’est pas nécessairement limitée aux heures nocturnes. Pascalet décrit dans Le Renard dans l’île le changement qui, d’un jour à l’autre, faisait passer le Mas-du-Gage de sa paix rustique « en un monde trouble, où les choses de l’ombre l’emportaient peu à peu sur les choses du jour » (96).

14. N’oublions pas les mystérieux visiteurs inconnus qui n’apparaissent que la nuit, tels que le visiteur nocturne au Jardin ou le visiteur nocturne au pavillon forestier « tout vêtu de noir » (O, 106, 158).

15. La Nuit elle-même est un personnage important du récit bosquien ; elle arrive dans les lieux « avec une lenteur cérémonielle, et comme un souci religieux de la dignité de ses ombres » (O, 183).

16. Parmi les personnages nocturnes des récits bosquiens, il faut compter quelques animaux. Le Sanglier porte le titre de la « bête nocturne » qui reparaîtra dans le dernier récit pour guider Monneval-Yssel (O 178). Pour le narrateur de Barboche, l’Âne Culotte est « un âne de la nuit » (Ba 73).

17. Pour une étude approfondie du double obscur qui hante les récits de Bosco dès Le Sanglier, voir notre ouvrage Les reflects, les échos et les ombres chez Henri Bosco: Une étude du double obscur (Lewiston, Mellen, 1993).

18.Voir notre ouvrage Voies et voix narratives dans l’Oeuvre romanesque de Henri Bosco, (Toronto, GREF, 1996).

19. Henri Bosco, « Liminaire », dans Liliane Marco, Quatorze visions de Liliane Marco, inspirées du Récif de Henri Bosco, Paris, Armand Henneuse, 1976, p. 18 et 20.

20. Bosco, [« La Terre veut. »}, extrait du « Diaire », début mai 1958, Cahiers Henri Bosco, no 15, juin 1978, p. 4.

21. Henri Bosco, « Liminaire » Quatorze visions de Liliane Marco, p. 18.

22. Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie, Paris, PUF, 1960, p. 162.

23. Cité dans Charlotte Minez, « Ombre et lumière dans l’Oeuvre de Henri Bosco », mémoire de licence, Université Libre de Bruxelles, 1973.

24. Il y a aussi l’image du petit Marcellin qui dessine le soir sous la grande lampe à pétrole posée sur une table du café (RN, 27).

25. Dans L’Antiquaire, Baroudiel écrit : « je m’oblige à rédiger, chaque soir, ce Journal » (A, 201). Cyprien semble rédiger son Journal surtout la nuit. Voir aussi L’Épervier, p. 177.

26. Pour une étude plus approfondie de cette fonction du récit, voir notre étude, « Le récit-miroir comme instrument d’exorcisme dans Un rameau de la nuit », Roman 20/50, no 33, juin 2002, p. 113-121.

27. Agnès Maenaut-Durt, « A Lourmarin avec Henri Bosco », Cahiers Henri Bosco no 8-9, mai-novembre 1975, p. 6.